le Texte

Publié le par renaud

(Les Emanglons (

Voyage en grande Garabagne – Henri Michaux

Quelques extraits de ce texte qui a servi de point de départ à la conception d'un espace.



Etienne-Jules Marey


(...)

Les Emanglons de la presqu'île d'Avord ont bien des ennuis à cause de leurs maisons. Ils ne le montrent pas, car ils sont très fiers. Mais ils vivent dans l'inquiétude que leur maison ne leur tombe dessus. Ils passent continuellement la main dans leur chevelure, comme si elle était déjà pleine de gravats et des débris vermoulus du toit.

C'est un ver qui ronge le bois de leurs maisons et qui vient, porté par le brouillard.
Dès que la brèche est faite (est-ce pour ça aussi qu'ils ont si peur des fenêtres?) une maison entière est consommée en quelques jours.
Une nuit de brouillard suffit à l'invasion.



Kurt Schwitters


Sans motifs apparents, tout à coup un Emanglon se met à pleurer, soit qu'il voie trembler une feuille ou tomber une poussière, ou une feuille en sa mémoire tomber, frôlant d'autres souvenirs divers, lointains, soit encore que son destin d'homme, en lui apparaissant, le fasse souffrir.
Personne ne lui demande d'explications. On comprend et par sympathie on se détourne de lui pour qu'il soit à son aise.

Mais, saisis souvent par une sorte de décristallisation collective, des groupes d'Emanglons, si la chose se passe au café, se mettent à pleurer silencieusement, les larmes brouillent les regards, la salle et les tables disparaissent à leur vue. Les conversations restent suspendues sans personne pour les mener à terme. Une espèce de dégel intérieur, acompagné de frissons, les occupe tous. Mais avec paix. Car ce qu'ils sentent est un effritement général du monde sans limites, et non de leur simple personne ou de leur passé, et contre quoi rien, rien ne se peut faire.



Jana Sterbak


(...)

Au théâtre s'accuse leur goût pour le lointain. La salle est longue, la scène profonde.

Les images, les formes des personnages y apparaissent, grâce à un jeu de glaces (les acteurs jouent dans une autre salle), y apparaissent plus réels que s'ils étaient présents, plus concentrés, épurés, définitifs, défaits de ce halo que donne toujours la présence réelle face à face.

Des paroles, venues du plafond, sont prononcées en leur nom.
L'impression de fatalité, sans l'ombre de pathos, est extraordinaire.

Ils n'aiment pas les fenêtres et préfèrent à y voir clair, se sentir chez eux, mais, comme ils sont très courtois et qu'ils ne veulent pas agir autrement que dans les pays où l'on use, et puis, que ça ferait nu, morne et hostile, attirerait l'attention et les mauvais sentiments, alors qu'ils ne sont que paix et placidité, ils ont des maisons avec des fenêtres, même avec beaucoup de fenêtres, mais toutes fausses, et pas une ne pourrait s'ouvrir, même s'il s'agissait de fuir un incendie; cependant imitées à s'y méprendre, avec des ombres et des reflets, de sorte que c'est un plaisir de les regarder, sachant qu'elles sont fausses, surtout si l'heure et la force du soleil réunit à peu près les conditions du trompe-l'oeil.

Rachel Whiteread


(...)

Comme les Emanglons répugnent à se mettre en avant, à faire des gestes et de longs discours, leurs chefs ne siègent et ne discourent que derrière la statue (en bois léger, et transportable) d'un de leurs grands hommes du passé, aux principes desquels ils prétendent adhérer.

Si j'ai bien compris leur éloquence, le principal, c'est de savoir placer sa statue au bon moment, de façon inattendue, dramatique, ou de la pousser petit à petit en la dissimulant, jusqu'au moment où on la découvre. (...)

Tony Cragg

(en cliquant sur liste complète dans la colonne de droite, on accède à l'article de présentation sur Henri Michaux)


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